Moment étrange que nous vivons, où un gouvernement qui a tenté de se saisir des attentats de 2015 pour construire sur les peurs collectives un pouvoir politique fort se trouve confronté à une problématique en grande partie étrangère à son horizon, suscitée par des gens qui, non seulement ont oublié d'avoir peur, se rassemblent à tout va pour discuter, manifester, mais aussi se mobilisent hors de l'agenda gouvernemental ou organisationnel pour penser un avenir, dans l'ignorance volontaire de ce qu'en pensent les pouvoirs. A-t-on déjà vu pareille disjonction ? Certes, les mobilisations s'enracinent dans l'actualité de l'élaboration d'une loi cruciale qui détériore encore un peu plus les rapports de force dans l'entreprise aux dépens des salariés, mais elles s'élargissent selon des périmètres variables et de plus en plus ouverts. Entre celles et ceux des places et celles et ceux des institutions politiques, la fracture s'exhibe et témoigne de deux mondes qui se sont éloignés l'un de l'autre sans que, en dépit d'avertissements sévères, cela soit pris au sérieux. La répression devient la solution à une résistance de forme imprévue par les pouvoirs. C'est peut-être ainsi qu'adviennent de temps à autres des révolutions. Ou des reprises en main autoritaires. Tandis que les uns, en dépit de la mise en échec de la déchéance de nationalité, poursuivent la traque terroriste en même temps que la mise au pas des travailleurs, d'autres ferment les radios qui répètent en boucle les injonctions des pouvoirs politiques et économiques à l'échelle du globe, postent des réflexions sur les réseaux sociaux et s'assoient sur des places pour signifier l'évidence de leur existence sociale et leur droit souverain à penser les liens sociaux et à commencer à mettre en oeuvre localement ce fonctionnement autre. Du coup, la caricature politique prend elle aussi une signification sensiblement nouvelle et, singulièrement, celle des hommes d'État, ceux dont la production de caricatures contribue à faire des « grands hommes », renforçant leur place au coeur de l'espace social.On comprend d'emblée que la caricature ouvre plus que jamais dans notre actualité des questions vives. Son analyse redonne à la production graphique une place dans les tensions sociales des sociétés passées qui lui a longtemps été déniée.……